WXIII Patlabor the movie 3, Takuji Endo, 2002
Le manga et la série Patlabor avait inspiré deux long-métrages cinéma qui firent date (1989 et 1993), tous deux réalisés par Mamoru Oshii. Le réalisateur d'Avalon y avait parfait son art et son écriture si particulière. Quasiment dix ans après, le studio Madhouse (Captain Herlock, the endless odyssey) ressuscite la franchise avec ce troisième opus qui se révèle tout à fait
digne de ses deux prédécesseurs. Techniquement impeccable, tant dans sa
réalisation que dans son animation, le film reprend la forme d'une enquête
policière assez complexe, à base de complot situé sur plusieurs échelons, où
les états d'âme de deux personnages flics comptent autant que l'avancée de
leurs recherches. Ici la section des Labors est définitivement à l'arrière-plan, mais ça n'enlève rien à l'intérêt du récit.
Comme chez Oshii, le film se retient de céder aux faciles séduction du spectaculaire, alternant longues plages méditatives
sur des vues de la ville et soudaines accélérations. Ce qui donne un impact encore plus fort aux séquences d'action, avec en particulier une scène
superbe et même terrifiante dans un entrepôt qui fait basculer le film de
façon assez inattendue dans le fantastique. Et le compositeur Kenji Kawai est
toujours là, fidèle et en forme, haussant cet anime à un très haut niveau de qualité.
Poursuivant sa réflexion sur la virtualité de
nos existences et l'âme des machines, Oshii a réalisé avec Innocence un nouvel essai poétique et philosophique. Son cinéma
existentiel devient à chaque fois plus somptueux, plus surprenant, et moins
réel. Les caractéristiques qu'Innocence partage avec Ghost
in the shell créent l'agréable sensation de se retrouver en terrain
familier tout en constatant que rien n'est plus vraiment tout à fait pareil.
Sentiment d'étrange étrangeté, auquel renverra au cours du film la figure du
miroir, et du feedback (ou déjà-vu). Les corps des cyborgs ont changé, sous
l'influence des poupées de Hans Bellmer. Toujours signé Hiroyuki Okiura, le réalisateur de Jin-Roh, le character-design s'est affermi,
les véhicules sont différents, proposant un surprenant retour aux années 50. La musique de Kenji Kawai semble elle aussi emprunter des sillons
bien connus (choeurs et percussions) tout en s'en démarquant de façon
manifeste, partant de la même base pour évoluer vers autre chose.
Dans sa
construction même, Innocence évoque
explicitement son prédécesseur : prologue sur une
intervention de la section 9, générique Making
of cyborg, enquête à base de machines qui buggent... À tel point
que je guettais la séquence contemplative de milieu de film sur cette même
musique du générique — qui aura bien lieu, pendant la procession — et
l'affrontement contre une machine surpuissance lors du climax — qui n'aura pas
tout à fait lieu de cette manière, même si on assistera à du démembrement de
cyborg. Dans cet univers où l'on cherche ses repères, le Major est absent
physiquement mais pas virtuellement. Ayant fusionné avec la matrice dans le
précédent épisode, elle est en fait partout. Elle hante nos pensées comme
celles des personnages. La mise en scène d'Oshii est plus maîtrisée
que jamais, privilégiant les poses statiques, avec ces personnages qui se
parlent sans jamais se regarder. Lorsque l'animation se met en branle, elle est
d'une subtilité admirable. Le travail sur les visualisations des systèmes
informatiques en action, plus poussé que jamais, est réellement impressionnant.
Dans ses films, Oshii aime multiplier les inserts d'écrans vidéos, offrant des
solutions visuelles au fonctionnement des machines. De la même manière que pour
le premier film, il récupère pas mal d'éléments du manga de Shirow (chef-d'œuvre absolu du 9e art), mais propose un scénario tout à fait
personnel. Si l'enquête elle-même s'avère moins nébuleuse que dans ses
précédents films — cette complexité culminait sur Patlabor 2 —, il n'en demeure pas moins qu'on se retrouve ici face
à des abîmes de réflexion.
Je ne prétendrai pas avoir tout saisi. Jusqu'à
présent, tous les films d'Oshii m'ont demandé plusieurs visions, de même que
ceux de Kubrick. Et je ne pense pas que lui-même prétende proposer un ensemble
cohérent, mais plutôt des idées, des suggestions qui ouvrent l'être à la
perplexité, à l'interrogation sur son existence et sa destinée. Au fond, rien
de bien neuf, il ne fait que prolonger la réflexion déjà bien entamée dans Ghost in the shell, trouvant ici avec
la thématique marquée de la poupée un nouveau terrain de doute et
d'extrapolations. Il pose un ensemble de questions ouvertes, non pas un système abouti qui nous serait donné à appréhender tel quel, de façon ferme et définitive. Tout cela est évidemment de la part d'Oshii le fruit d'une réflexion cohérente et qu'il murît depuis longtemps, mais en tant que spectateur, je ne prétendrais pas en avoir saisi tous les tenants dès ma première vision. Il me fallait à la fois suivre l'histoire proprement dite, digérer la dialectique mise en oeuvre, et me laisser aussi simplement subjuguer par l'atmosphère. Lorsque Batou annonce au dernier tiers du film : « Finis les discours, place à la violence », cela montre bien que le réalisateur a conscience des limites du spectacle qu'il a donné à voir jusqu'à présent. Il livre alors avec ce combat contre les poupées une de ses plus belles séquences de cinéma, d'une poésie assez sublime. Il y aurait certainement encore beaucoup de choses à dire, mais encore plus à
taire et juste à ressentir. Par la suite, je reviendrai souvent
me perdre dans ce Innocence comme
j'ai aimé me perdre dans Ghost in the
shell.
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