20 février 2015

The Cremaster cycle, by Matthew Barney (1994-2002)

Cremaster est un cycle de 5 films expérimentaux tournés dans le désordre et sur plusieurs années avec les moyens techniques et financiers du cinéma, conçus pour être projetés en salle et non sur un moniteur dans une galerie (et encore moins via youtube). Ceci afin de faciliter l'immersion du spectateur et de profiter du travail sonore. Dans cet univers sans paroles, impossible à résumer, l'artiste américain Matthew Barney (qui participa notamment à l'anthologie Destricted) donne l'impression de réinventer la finalité des objets et leur valeur d'usage, faisant faire à ses personnages de fascinantes manipulations, filmées de manière très concrète en respectant parfaitement la grammaire cinématographique (raccords, etc.). Il y a un travail incroyablement soigné sur les décors, les costumes, les maquillages et les accessoires, tandis que certains plans sont soutenus par des trucages numériques très efficaces. Des films marqués du sceau de l'ange du bizarre, grâcieux et violents. Le titre de la série fait référence au muscle crémaster, qui permet la montée et la descente des testicules et contracte les parties génitales en réponse à des stimuli comme le froid, ou la peur.


Né en 1967, Barney fait partie de ces artistes contemporains dont les oeuvres ont clairement besoin d'être accompagnées d'un mode d'emploi, note d'intention, etc. Un peu comme Mike Kelley. Parce que la fascination a ses limites et qu'il y a dans ses films des allusions, des citations et l'intervention de personnages et d'événements très précis qui donnent un sens à l'ensemble. Même en étant très intuitif, il est difficile de percevoir spontanément l'identité de certaines figures ici conviées (le magicien Houdini, l'assassin Gary Gilmore). Il ne faut donc pas considérer cet ensemble comme un film de cinéma mais bien comme une pièce d'art contemporain. On aura évidemment le droit de ne pas vouloir se prêter au jeu, et de rester sur le seuil. Il est certain que rien n'est ici acquis sans effort (l'endurance n'en étant pas le moindre).


Cremaster 1, 1996 (40 minutes)
Assez minimaliste dans ses décors et son dispositif, le film se partage entre la nacelle de deux dirigeables Goodyear et un terrain de football américain, la nuit. Dans les nacelles, sur un fond sonore très lynchien, des hôtesses se baladent autour d'une table recouverte de raisins. Sous la table une femme creuse un trou pour récupèrer les raisins et joue avec, composant des figures géométriques. Au sol, sur le terrain de foot, des danseuses costumées qu'on croirait sorties de Broadway reproduisent à échelle humaine ces mêmes figures au son d'une musique très fifties, ce qui, vu d'en haut, rappelle explicitement les chorégraphies de Busby Berkeley. Mais dans une atmosphère dénuée de toute vivacité, mollement. Ainsi s'ordonne le fantasme et, à en raconter la teneur, on a l'impression de décrire une logique de rêve.
Très simple, donc, cet épisode se laisse agréablement voir, l'intérêt étant surtout relancé par les séquences dansées.


Cremaster 2, 1999 (79 minutes)
Ce second volet est en comparaison bien plus déconstruit, multipliant les tableaux et les ambiances. Il se déroule en majeure partie dans les paysages somptueux du Grand Nord canadien. Le travail sur les sensations et les textures est particulièrement poussé, les personnages ne cessant de saisir et de toucher des objets à la consistance étrange, plus ou moins malléable. On y croise Norman Mailer en Houdini ou encore Dave Lombardo qui se lance dans un furieux solo de batterie avec en fond sonore le bruit produit par des centaines d'abeilles dans un studio d'enregistrement. Barney quant à lui interprète un homme désœuvré qui après le meurtre d'un pompiste se voit condamné à chevaucher un taureau dans une arène perdue au milieu de l'océan.
On pourra légitimement reprocher à cet épisode son hermétisme, tant les intentions de l'artiste nous échappent. Reste le sentiment d'un voyage.


Cremaster 3, 2002 (180 minutes)
S'il ne fallait en voir qu'un ce serait celui-là. Vue sa durée, mieux vaut éviter d'y aller en petite forme, mais il s'y passe tellement de choses surprenantes, dans des décors tellement beaux (du Chrysler building au Musée Guggenheim de New York) que l'esprit reste constamment éveillé et en attente. Les tableaux se suivent de façon bien plus linéaires que dans les volets précédents, et ne sont pas dénués d'humour, ce qui aide également à soutenir l'attention. Les influences sont plus facilement perceptibles. Il y est question de légendes celtiques, d'êtres hybrides, de culture irlandaise, d'impérialisme, de jeux vidéos, de symbolique maçonnique, d'architecture, de rock sauvage, de performance, de stock-car, etc. Un étonnant bestiaire de personnages ne cessent de gravir des étages, se soumettant ainsi à divers rites étranges et effrayants.
Cremaster 3 représente un tel concentré que les deux derniers films déçoivent forcément un peu. Ce sont sans doute les plus hermétiques, ce qui n'est pas peu dire. En tous cas, si je les ai suivis avec un intérêt à peu près égal, je les mets derrière les précédents. 


Cremaster 4, 1994 (42 minutes)
L'action est cette fois située sur l'Île de Man. Deux side-cars font la course en suivant la même route dans des directions opposées finissant ainsi par rejoindre leur point de départ malgré quelques avanies. En montage parallèle, une espèce de satyre (incarné par Barney) fait des claquettes dans une cabane avant de se retrouver en train de ramper laborieusement au sein d'un tunnel qui semble fait de matière savonneuse. 
Esthétiquement, ce film qui chronologiquement est le premier à voir été tourné, n'est pas particulièrement soigné (caméra épaule mal assurée, image vidéo), alors que tous les autres se caractérisent par ce soin maniaque accordé à l'aspect visuel. En dehors de quelques fulgurances bienvenues, le dispositif ne semble pas vouloir proposer quelque chose de très profond.


Cremaster 5, 1997 (54 minutes)
Nous donne à voir Ursula Andress en diva d'opéra, sur une scène de Bucarest dans une ambiance très slave début de XXe siècle. Malgré la beauté des images, décors, costumes et maquillages, malgré le raffinement qui semble ici atteindre des sommets, ça tourne assez vite en rond. C'est vraiment tout le décorum, du fait du contexte, qui parvient à rendre le spectacle intéressant. Derrière cette apparente richesse, on constate cependant que le nombre d'éléments mis en scène est limité. Et de ces images, de cette atmosphère finit par se dégager une inattendue mélancolie.






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