17 février 2015

Fly me to the moon

Neon Genesis Evangelion, 1995 (Studio Gainax)
C'est évidemment ce qui impressionne en premier lieu : le design des "Evas" est bluffant. Mais cette série de 26 épisodes, qui reste une date dans l'Histoire de la japanimation, va bien au-delà du simple contentement de voir des robots géants s'affronter. Evangelion surprend, charme et emballe par la façon dont sont dosés action, humour et émotion, par le réalisme inattendu des situations proposées. L'interprétation particulièrement vivante n'est pas pour rien dans cette impression de verité qui se dégage des personnages, et il faut louer la grande qualité du doublage original : la voix froidement inhumaine et incroyablement ténue de Rei, les gueulantes d'Asuka... Personnages complexes et torturés, qui cachent parfois bien leur jeu. C'est même extrêmement violent de voir un personnage aussi déchiré que Shinji, à la fragilité palpable, plongé dans un univers pareil. 

Dès les deux premiers épisodes on nous montre des choses franchement terrifiantes : la façon dont le protagoniste est embarqué dans l'affrontement sans aucune préparation, alors qu'il vient juste de retrouver son père, sa première synchronisation avec l'Eva, son hurlement de panique lorsqu'il fait face à l'Ange, la façon dont l'Eva se "réveille" (apparemment tout seul) pour combattre, puis cet échange de regard bien flippant avec Shinji... Dès le début on est plongé face à des images inconfortables. Et en même temps on a des scènes de comédie loufoque (avec déformation de tronches), et des scènes de combat mises en scène et animées de façon époustouflante. Cette belle alternance de légèreté et de gravité provoque ainsi un trouble souvent délicieux. L'auteur Hideaki Anno multiplie dans son récit et sa réalisation les faux-semblants, distille le doute dans l'esprit du spectateur amené à interroger les apparences. Et c'est assez agréable de constater le soin accordé à la caractérisation de tous les rôles, même les plus anecdotiques comme les techniciens de la NERV préposés aux pupitres, qui ont droit eux aussi à quelques moments d'intimité.



On pourrait reprocher à certains passages d'abuser du statisme pour économiser du temps d'animation ainsi que le fréquent recyclage de plans, mais on peut tout aussi bien considérer que ça rentre précisément dans le discours d'Anno. La musique dans l'ensemble n'est pas particulièrement remarquable, manque un peu de variété (le thème à percussion qui retentit un peu trop souvent à chaque alerte), à l'exception néanmoins de très beaux thèmes mélancoliques, qui donnent un poids non négligeable aux scènes les plus poignantes, de même que les quelques morceaux de classique qui renforcent la dimension opératique de l'ensemble. J'adore également tout le travail, assez virtuose, sur les inscriptions à l'écran, qui culmine évidemment dans les derniers épisodes. 

La façon dont le récit progresse m'a complètement retourné. Petit à petit, alors que l'on commence à faire un peu le point sur la situation générale, l'environnement auquel on s'est habitué nous échappe. Plus rien ne se résout pour les personnages, les plongeant au contraire vers une véritable impasse. L'univers d'Evangelion apparaît de plus en plus dévasté, vire à l'abstraction (deux termes qui se sont imposés à moi avec évidence). Ce sont d'abord les Anges, qui eux-mêmes deviennent de plus en plus informes et inconsistants. Les personnages principaux, adultes comme enfants, sont rattrapés par leurs pires souffrances alors qu'on aurait pu espérer une résolution de leurs dilemmes respectifs. La conclusion est évidemment désarmante, d'une poésie et d'une audace incroyable, sur le fond comme dans la forme. Il est évident qu'elle dérange parce qu'elle amène à la surface certaines de nos faiblesses dont nous avons conscience mais que toute notre existence s'efforce de nous faire oublier. En sortant du visionnage, des impressions troublantes persistent. Une sorte de prolongement assez rare de la fiction dans notre propre réalité. D'une certaine façon, Anno finit sur une note plus lumineuse et porteuse d'espoir, mais en y repensant, je garde surtout le sentiment d'une œuvre profondément déprimante.



J'ai ensuite enchaîné avec les deux films qui furent produits dans la foulée de la série. Je me garde encore sous le coude la tétralogie cinéma intitulée Rebuild of Evangelion en cours d'achèvement. J'avoue que je craignais une sorte de coda dispensable et avant tout destinée à faire plaisir aux fans déçus, or je me suis retrouvé face à deux morceaux qui pour moi n'ont franchement rien d'un truc de vendus.

Death and rebirth commence d'abord par une compilation totalement incompréhensible car désordonnée de pas mal d'épisodes de la série (jusqu'au 24). Le recadrage au format cinéma est regrettable. Ce n'est même plus un résumé, les scènes se suivant sans aucun lien logique. Seuls quelques intermèdes ont été ajoutés, très beaux, dans lesquels on voit les enfants constituer progressivement un quatuor à cordes. Le résultat ne peut avoir de sens que pour quelqu'un ayant déjà vu la série. J'y vois pour ma part une sorte de ballade transversale dans un univers déjà visité, qui permet ainsi de replacer le spectateur en terrain familier avant la suite. La seule raison d'être de cet étrange objet est en effet de préluder au véritable film, vraiment inédit, lui, qui démarre après un petit entracte. 

The End of Evangelion n'est pas comme on aurait pu le penser une relecture des épisodes 25 et 26 qui viendrait justement répondre de façon pauvrement rationnelle à toutes les questions laissées en suspens dans la série. On assiste au contraire à un spectacle complétement dément, tout aussi dérangeant voire plus que les épisodes télé (puisque d'une certaine manière c'est là dessus que s'est clôt pour moi la découverte de l'anime), d'une violence vraiment impressionnante et riche de scènes bouleversantes. Shinji y est plus bas que terre,  se faisant littéralement traîner comme une loque. Misato va au bout de son chemin de croix et le sursaut d'Asuka donne lieu à une des scènes les plus enragées de tout le cycle, qui plus est superbement réalisée. La dernière demi-heure est un grand moment de délire visuel, auquel je n'ai rien compris tellement ça a l'air riche de symboles, mais je pense de toutes façons qu'une seule vision est loin d'être suffisante pour parvenir à être totalement en phase. L'épilogue sur la plage est tout simplement déchirant, me laissant anéanti. 




On ne saurait dire en quoi réside le charme fou et la fascination durable distillés par cette œuvre, mais on le savoure. Je n'ai en tous cas jamais mis en doute la sincérité des auteurs. La richesse de l'univers décrit reste ahurissante, et le peu de renseignements que j'ai pu glaner depuis me laissent deviner une cohérence vertigineuse, notamment par ses nombreuses références ésotériques. Dans la nuit qui a suivi cette découverte, j'ai repensé à ces personnages que j'ai accompagnés pendant toutes ces heures de visionnages, auxquels je me suis progressivement attaché. Et leur destin m'est apparu dans toute sa triste horreur. J'ai eu le sentiment du gâchis de leur existence et, sans que je les vois arriver, les larmes m'ont suffoqué.

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