9 décembre 2014

Mike Nichols III. Catch-22 (1970)

Catch-22, 1970
Une base américaine de l'US Air Force en Italie, durant la Seconde guerre mondiale. Les pilotes cèdent progressivement à la panique en voyant leur nombre d'heures de mission augmenter. Il leur faut atteindre un certain quota pour espérer se voir réformer. Cauchemar kafkaïen, Catch-22 est une sorte de spectacle total, tantôt hilarant et bouffon, tantôt franchement glaçant. On est impressionné jusque dans le casting cinq étoiles. De Dalio rescapé de La Grande illusion, à Jon Voight en lieutenant reconverti dans le business, en passant par Martin Sheen et bien sûr Orson Welles (enchaînant les prestations-cachets, ce dernier considérait Catch-22 comme le meilleur film dans lequel il ait tourné). Tous les personnages semblent gagnés par la folie, souvent meurtrière. 

Réalisé avec un luxe de moyens bluffant, Catch-22 est réellement sidérant par ses expérimentations formelles, déjà à l'œuvre dans les films précédents du réalisateur et qui trouvent sans doute ici leur point culminant. Nichols a recours à d'incroyables plans séquences dont certains mettent en scène les déplacements des personnages tout en faisant en sorte d'inscrire les avions dans le cadre. Spécialiste des cascades à Hollywood (Ben-Hur, La Chute de l'Empire romain), Andrew Marton assure les extraordinaires scènes d'aviation, et la prise de risque sera telle qu'un technicien y trouvera la mortL'utilisation spectaculaire du format scope, l'absence totale de musique et le montage éclaté achèvent de transformer l'ensemble en un objet filmique absolument sans équivalent, au service d'un récit lui-même hors-normes. Il y a une dimension cauchemardesque présente tout le long du film qui justifie d'une certaine manière l'aspect décousu et parfois cartoonesque de certaines scènes. Les trois-quarts du film sont d'ailleurs narrés par le protagoniste (parfait Alan Arkin) sur son lit d'hôpital,  dans la fièvre et le délire. Et au milieu de tout cet étrange délire, la comédie de l'absurde se fait satire grinçante quand progressivement commerce, militarisme et dictature en viennent à se confondre. Et on ne perdra pas de vue que lorsque le film sort, la guerre du Vietnam bat son plein et s'offre comme le destin de toute une jeunesse américaine. 

Il serait impossible de réaliser pareil film aujourd'hui, avec un chef opérateur exigeant de ne tourner qu'entre 14 et 15 heures de l'après-midi pour avoir la bonne lumière (magnifique travail de David Watkin) et un tournage s'étalant sur six mois. Ces conditions était tolérées voire encouragées à cette époque dite du Nouvel hollywood, les auteurs prenant soudainement le pouvoir sur les patrons de studio. Nichols bénéficie donc d'une carte blanche, permise par ses précédents succès. À la même époque, la Paramount qui produit Catch-22 est d'ailleurs engagée dans nombre de projets risqués et audacieux, parmi lesquels The Godfather. Le cinéma subit la concurrence de la télévision et se doit de proposer des spectacles que lui seul peut offrir. Films très longs, scope flamboyant, séances roadshows. C'est l'époque où des films couteux et ambitieux comme Star ! ou Ryan's daughter font des flops, apparaissant totalement déphasés par rapport à leur temps. 


Catch-22 connaîtra un incontestable succès critique mais cette fois le public ne suit pas. Œuvre trop sophistiquée, bizarre, le film jouira par la suite d'une petite réputation de film culte. À ranger aux côtés des autres films de guerre postmodernes qui, par une concordance curieuse, seront produits dans le même temps : M.A.S.H. (qui lui fera un triomphe), Kelly's heroesWhat did you do in the war, daddy ? ou le génial Slaughterhouse-V.



Dossier Mike Nichols

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