Sur un scénario de Jule Feiffer,
dramaturge et cartoonist, ce film totalement hors-normes représente peut-être le sommet de la première
partie de carrière de Mike Nichols, autrement dit le sommet de son cinéma. Carnal
knowledge est un briseur de tabous, prolongeant l'exploration de la sexualité en toute
franchise esquissée dans The Graduate. Ça parle de cul, au sens propre. Dès l'ouverture, Nichols
proclame la toute-puissance du verbe, qui va prendre largement le pas sur le
récit proprement dit. Le découpage en trois actes, sous forme
d'évolution dans le temps, offre une vision franchement désenchantée du couple,
avec ces deux portraits de copains qui ne conçoivent leurs relations que sous
l'angle sexuel, fuyant comme la peste le sentiment... et malgré ça pas plus
heureux. Des campus universitaires à l'âge soit-disant mûr où l'être apparaît plus
que jamais comme ayant perdu tout repère et abandonné tout idéalisme, le mâle
lutte encore pour son triomphe. Et le constat est accablant. Cette obsession du
cul et ce rejet de l'amour sera castrateur pour le personnage de Jack Nicholson,
tandis que celui interprété par Art Garfunkel, fidèle à d'autres principes, errera de mariage en mariage
sans jamais donner l'impression d'un épanouissement.
Même si elle n'a pas les séductions
immédiates de Catch-22, qui impressionnait par les moyens mis en oeuvre,
la mise en scène de Nichols affirme sa volonté d'aller à contre-courant, ses expérimentations confinant
souvent à l'épure : utilisation du scope toujours aussi spectaculaire, plans-séquences épuisants et
ellipses radicales. Ce style inspirera grandement George Clooney pour sa première réalisation : l'excellent Confessions of a dangerous mind (Lui et Soderbergh ont souvent revendiqué l'influence des films de Nichols de cette période). La
photographie de Giuseppe Rottuno, sous une apparente modestie, est d'une
maîtrise parfaite et riche d'idées. Et il s'agit cette fois pour la caméra d'atteindre au plus près l'intimité des personnages, ici impitoyablement mis à nus. Visages plongés dans l'ombre et gros plans fixes, autant de
procédés allant consciemment à l'encontre des conventions et offrant un écrin
inespéré aux performances d'acteurs, où toute l'expérience de metteur en scène et de directeur d'acteur de Nichols est mise à profit. Ce triste portrait d'une génération est en
effet magnifiquement porté par le duo composé de Nicholson et Garfunkel, tantôt
complices, tantôt rivaux, admirablement complété par la délicate Candice Bergen — pauvre jouet à briser — puis la touchante Ann-Margret. La distribution est extrêmement réduite,
en cohérence totale avec le dépouillement volontaire du film. L'une des nombreuses
séquences anthologiques du film nous donne à voir une incroyable scène de
ménage entre Nicholson et Ann-Margret, où ils se lancent des mots qui font
franchement mal, même pour le spectateur de l'autre côté de l'écran, hurlant à
faire peur (les deux acteurs se recroiseront quatre ans plus tard le temps d'une
courte scène dans le Tommy de Ken Russell).
Cette fois, Nichols fait plus que flirter avec la censure et ce qu'il est permis de représenter en matière de sexe. Masturbation, dépucelage, érection ou fellation sont suggérés sans ambiguïté, le corps nu d'Ann-Margret se dévoile et le langage se débride. Les chastes oreilles d'Hollywood ne s'en relèveront pas. Tout cela apparaît si audacieux à cette époque que le film a écopé de plusieurs interdictions sur le territoire américain et failli être classé X. La Cour suprême cassera ce jugement et créera une jurisprudence qui va radicalement transformer le paysage cinématographique américain. L'abandon du code d'autocensure de la production, entré en vigueur dans les années 30, est entériné. L'année suivante, c'est l'arrivée sur les écrans de Behind the green door, puis Deep throat, premiers films pornos distribués sur le circuit mainstream.
Dossier Mike Nichols
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