13 décembre 2014

Mike Nichols IV. Carnal knowledge (1971)

Carnal knowledge (Ce Plaisir qu'on dit charnel), 1971
Sur un scénario de Jule Feiffer, dramaturge et cartoonist, ce film totalement hors-normes représente peut-être le sommet de la première partie de carrière de Mike Nichols, autrement dit le sommet de son cinéma. Carnal knowledge est un briseur de tabous, prolongeant l'exploration de la sexualité en toute franchise esquissée dans The GraduateÇa parle de cul, au sens propre. Dès l'ouverture, Nichols proclame la toute-puissance du verbe, qui va prendre largement le pas sur le récit proprement dit. Le découpage en trois actes, sous forme d'évolution dans le temps, offre une vision franchement désenchantée du couple, avec ces deux portraits de copains qui ne conçoivent leurs relations que sous l'angle sexuel, fuyant comme la peste le sentiment... et malgré ça pas plus heureux. Des campus universitaires à l'âge soit-disant mûr où l'être apparaît plus que jamais comme ayant perdu tout repère et abandonné tout idéalisme, le mâle lutte encore pour son triomphe. Et le constat est accablant. Cette obsession du cul et ce rejet de l'amour sera castrateur pour le personnage de Jack Nicholson, tandis que celui interprété par Art Garfunkel, fidèle à d'autres principes, errera de mariage en mariage sans jamais donner l'impression d'un épanouissement.

Même si elle n'a pas les séductions immédiates de Catch-22, qui impressionnait par les moyens mis en oeuvre, la mise en scène de Nichols affirme sa volonté d'aller à contre-courant, ses expérimentations confinant souvent à l'épure : utilisation du scope toujours aussi spectaculaire, plans-séquences épuisants et ellipses radicales. Ce style inspirera grandement George Clooney pour sa première réalisation : l'excellent Confessions of a dangerous mind (Lui et Soderbergh ont souvent revendiqué l'influence des films de Nichols de cette période). La photographie de Giuseppe Rottuno, sous une apparente modestie, est d'une maîtrise parfaite et riche d'idées. Et il s'agit cette fois pour la caméra d'atteindre au plus près l'intimité des personnages, ici impitoyablement mis à nus. Visages plongés dans l'ombre et gros plans fixes, autant de procédés allant consciemment à l'encontre des conventions et offrant un écrin inespéré aux performances d'acteurs, où toute l'expérience de metteur en scène et de directeur d'acteur de Nichols est mise à profit. Ce triste portrait d'une génération est en effet magnifiquement porté par le duo composé de Nicholson et Garfunkel, tantôt complices, tantôt rivaux, admirablement complété par la délicate Candice Bergen — pauvre jouet à briser — puis la touchante Ann-Margret. La distribution est extrêmement réduite, en cohérence totale avec le dépouillement volontaire du film. L'une des nombreuses séquences anthologiques du film nous donne à voir une incroyable scène de ménage entre Nicholson et Ann-Margret, où ils se lancent des mots qui font franchement mal, même pour le spectateur de l'autre côté de l'écran, hurlant à faire peur (les deux acteurs se recroiseront quatre ans plus tard le temps d'une courte scène dans le Tommy de Ken Russell).

Cette fois, Nichols fait plus que flirter avec la censure et ce qu'il est permis de représenter en matière de sexe. Masturbation, dépucelage, érection ou fellation sont suggérés sans ambiguïté, le corps nu d'Ann-Margret se dévoile et le langage se débride. Les chastes oreilles d'Hollywood ne s'en relèveront pas. Tout cela apparaît si audacieux à cette époque que le film a écopé de plusieurs interdictions sur le territoire américain et failli être classé X. La Cour suprême cassera ce jugement et créera une jurisprudence qui va radicalement transformer le paysage cinématographique américain. L'abandon du code d'autocensure de la production, entré  en vigueur dans les années 30, est entériné. L'année suivante, c'est l'arrivée sur les écrans de Behind the green door, puis Deep throat, premiers films pornos distribués sur le circuit mainstream.



Dossier Mike Nichols

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