16 février 2018

Trois romans américains contemporains

Laura Kasischke, In a perfect world (En un monde parfait), 2009
Vachement bien. Un roman qu'on pourrait qualifier de délicat au premier abord, tant il semble reposer sur pas grand chose, s'attardant sur le presque rien d'existences appelées à disparaître, dans un silence assourdissant. La narratrice semble ainsi tisser au fil des pages une sorte de toile aussi fragile que du fil d'araignée. 

Et l'air de rien, c'est un  drame intimiste franchement poignant que nous offre ainsi Kashiscke, avec cette approche aussi originale qu'efficace d'un récit qui ne va pas se contenter de se tenir à la lisière du fantastique, s'ancrant au contraire progressivement dans un contexte apocalyptique, avec un sentiment d'inéluctable bientôt insupportable. Douleur et beauté, poésie simple et justesse des sentiments se conjuguent ainsi dans ce texte puissant. Ce qui m'assure de futurs délices lorsque je me plongerai dans ses autres romans, qui semblent tout autant promettre cette singularité dans la vision du quotidien.




Chad Harbach, The Art of fielding (L'Art du jeu), 2011
Un premier roman prenant et émouvant, auquel son auteur n'a à ce jour toujours pas donné suite. Harbach nous fait partager avec beaucoup de sensibilité le quotidien d'une poignée de personnages, cohabitant dans une université du Wisconsin, en particulier les membres de l'équipe de baseball, les rêves qui sont dans leurs têtes, la vie qu'ils se fabriquent.

C'est un roman qui n'est pas évident à résumer ni à vendre, parce que ça n'a finalement rien de grandiose mais c'est écrit de façon très simple et très précise, parvenant à mêler le tragique au comique à la façon de ces grands romanciers américains que j'aime, l'atmosphère de campus m'évoquant aussi bien les étudiants des romans de John Irving que de Donna TarttQuand on finit un bouquin et qu'on n'a pas envie d'abandonner ses personnages, on peut en conclure qu'il est réussi. Des années après, je conserve encore le souvenir de son atmosphère et de ses personnages.




Marisha Pessl, Night film (Intérieur nuit), 2013
Excellent pavé, dont l'intrigue principale prend la forme d'une enquête sur un mystérieux cinéaste hollywoodien, auteur de films d'horreur à succès, ayant profité des légendes courant sur son compte pour mieux vivre en reclus. Pessl (je sais pas comment ça se prononce) construit un monde étonnamment crédible, tant dans sa vision du milieu que dans le comportement de ses personnages. La chasse aux indices et aux témoins est rendu passionnante par l'inclusion dans le corps du texte de photographies, photocopies et autres documents (y compris des pages Web). C'est très convaincant et pas du tout gadgeteux. Et surtout, il y a un mélange des tons vraiment efficace, qui rend la lecture captivante, puisqu'on enchaîne harmonieusement des moments de comédie franchements hilarants, à l'ironie savoureuse, à d'autres passages absolument flippants à faire dresser les poils.

Tout ça rend le roman un peu inclassable. Même si l'on est beaucoup dans les codes du thriller, on devine que pour l'auteur c'est pour mieux faire passer en douce une réflexion sur le pouvoir de la fiction, le goût de l'humain pour la fable contre la raison. Pour toutes ces raisons, et parce qu'il est aussi question d'un cinéaste maudit de série B, je n'ai pas pu m'empêcher de penser au Flicker de Theodore Roszak, que je tiens pour un chef-d'œuvre. Bref, une vraie maîtrise de la part de cette romancière dont il faudra que je lise le précédent bouquin, La Physique des catastrophes, qui avait eu plutôt bonne presse à sa parution faisant d'elle une sorte de jeune écrivaine prodige, donc forcément attendue au tournant du deuxième roman. 

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