19 février 2018

Le Cinéma de P.T. Anderson I. 1996-1998

Hard Eight, 1996
Premier long-métrage — inédit en France — d'un jeune prodige du cinéma américain âgé de 26 ans, réalisé avec le soutien du Sundance Institute. Anderson développe ici le point de départ de son précédent court-métrage, Cigarettes & coffee, déjà avec Philip Baker Hall, aboutissant à un film noir à la mélancolie sourde, situé dans un Vegas plein de couleurs qu'il nous montre un peu par la porte de service. Et puis soudain, des choses étranges arrivent, comme seule la vie est capable d'en produire, toujours surprenante et pas forcément signifiante. Le film nous emmène ainsi sans qu'on sache vraiment où, bifurquant brutalement au moment où on s'y attend le moins, et ce plusieurs fois.

Involontairement — il fut contraint de raccourcir — Anderson ose laisser dans sa narration des trous béants qui ne seront jamais comblés, et qui renforcent le mystère et le poids de ses personnages. Dans ce monde de casinos, de tristesse et de rêves d'argent facile, on n'est jamais à l'abri d'un coup du sort. Tout est possible et c'est magnifiquement montré, jamais cruel. L'émotion qui en sort au final est d'une belle intensité.

Comment décrire la véritable fascination que le cinéaste parvient à faire naître de ses images ? Les 10 premières minutes captivent d'emblée par cette pleine maîtrise d'un langage : cadres soigneusement composés, plans qui durent, emploi affirmé de la musique (Michael Penn et Jon Brion) et des effets sonores. En plus d'une écriture brillante et d'un vrai sens du portrait, l'évidente virtuosité de la mise en scène, en même temps qu'elle ravit l'œil, est comme un écrin de rêve pour les performances de ses acteurs. Et puis quel plaisir de voir déjà constituée une partie de cette troupe qu'on appréciera de retrouver par la suite : J.C. Reilly et Philip Baker Hall bien sûr, personnages vraiment sublimés. Mais aussi Philip Seymour Hoffman qui fait un numéro mémorable, et même Melora Walters qui apparaît le temps d'une très courte scène, et on ne sera guère étonné d'entendre la voix de Aimee Mann sur la chanson du générique de fin. Je retiens également une scène assez marquante qui réunit notamment Reilly, Baker Hall et Gwyneth Paltrow dans une chambre de motel, morceau de bravoure en temps réel pendant quasiment une bobine. Bref, Anderson fait preuve d'un appétit de cinéma qui me comble et permet au film de supporter les multiples visions. Une vraie réussite à (re)découvrir absolument.




Boogie nights, 1997
Un film-fleuve rempli à ras-bord mais pas fourre-tout pour autant. Le cinéaste parvient à s'emparer d'une sujet sulfureux sans verser dans le mauvais goût, le moralisme ou la caricature, quand bien même il aborde précisément tous ces aspects. Ça donne une fresque somptueuse et fiévreuse, en scope pêtant de couleurs et porté par une bande son à l'énergie purement scorsesienne. Mise en scène et montage imposent l'admiration tant tout est fluide. C'est un grand film qui n'en finit pas de dévoiler de nouvelles richesses à chaque visionnage, et dont j'adore tous les moments, y compris la période tragicomique lorsque Wahlberg et Reilly se font braqueurs amateurs.

Portrait d'une époque qui bascule dans une autre, film-choral, Boogie nights se présente aussi comme un réservoir d'acteurs ahurissant. Même dans des petits rôles, croiser Luis Guzman, Philip Seymour Hoffman ou William H. Macy suffit déjà à me mettre en joie. Le film a aussi redonné un beau rôle à un Burt Reynolds presque oublié, et en plus d'avoir révélé à mes yeux Julianne Moore a quand même fait démarrer la carrière cinématographique de Marky Mark sur un terrain franchement pas évident. J'aime d'ailleurs continuer à retrouver à l'occasion cet acteur dans des films d'auteurs (chez James Gray en particulier) alors qu'on a complètement perdu Heather Graham qui pour sa part avait tout de même démarré à Twin peaks. Tous les comédiens sont ici magnifiques, et malgré un temps de présence forcément réduit, leurs persos sont vraiment bien traités, avec bienveillance mais tout en assumant aussi la dimension parfois grotesque qu'implique le milieu dans lequel ils travaillent.




Across the universe, 1998
Un clip réalisé pour sa compagne d'alors, Fiona Apple, bien représentatif de cette première période où Anderson cultivait son goût pour la performance technique, comme c'était déjà le cas sur le clip en plan-séquence Try, précédemment tourné pour son compositeur Michael Penn. On y croisera une tête familière de son petit univers :


DOSSIER PT ANDERSON :

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