18 janvier 2018

Le Cinéma de Richard Donner V. 1995-2006

Assassins, 1995
On a ici un peu l'impression d'avoir perdu le réalisateur, avec cette nouvelle production Joel Silver sans saveur qui semble avoir égaré la formule magique de ses actioners des années 80. Construit sur l'opposition basique entre deux tueurs à gages rivaux et doués, sur la confrontation de deux méthodes, le film est écrit par les (encore) frères Wachowski, qui feront en sorte par la suite d'assurer eux-mêmes la réalisation de leurs scripts.

Assassins est ce qu'on appelle un film véhicule, remodelé en cours de route pour ses interprètes. D'un côté un Stallone pas encore en perte d'aura (sorti juste après, Daylight en sera sans doute les derniers feux). De l'autre, un Antonio Banderas bien loin d'Almodovar et qui, après quelques seconds rôles marquants à Hollywood, passe sur le devant de la scène suite au succès du Desperado de RodriguezLeurs deux noms sont clairement mis sur le même plan dans la promotion (affiches, bandes annonces), un peu comme on avait eu Stallone / Snipes pour Demolition man ou Stallone / Stone pour L'Expert... Le nom-même de Richard Donner n'est pas un argument de vente. Le réalisateur ne ralentit pour autant pas son activité, retrouvant bientôt son complice Mel Gibson d'abord sur Conspiracy theory, film de 1997 avec Julia Roberts que je n'ai pas vu, puis avec un retour sans risque à une franchise qui n'en méritait pas tant...




Lethal weapon 4 (L'Arme fatale 4), 1998 
J'avoue que je n'ai jamais eu la curiosité de savoir à quel point Donner s'impliquait dans la conception de ses films, à la production desquels il a la plupart du temps été associé. Ni de chercher d'éventuelles thématiques récurrentes dans son œuvre. Je me souviens même qu'à l'époque de sa sortie, ce Lethal weapon 4 représentait pour moi le symbole détestable du cinéma commercial hollywoodien par rapport au cinéma d'auteur, et je l'ai longtemps snobé. C'est pourtant déjà un peu mieux que le 3e volet, et souvent drôle. La scène du gaz hilarant chez le dentiste en particulier est assez mémorable, dans le genre comédie en roue libre. Et Chris Rock, même s'il n'est pas un acteur très convaincant, a quelques bonnes répliques. Je retiendrais également les impressionnantes cascades sur autoroute, et des effets pyrotechniques très réussis. 

Le film devient surtout très intéressant dans sa volonté de mixer l'actioner "joelsilverien" avec le cinéma de Hong Kong. La tentative est cependant encore timide, la mise en scène reste contrainte par le formatage hollywoodien et sous-exploite les talents de Jet Li, qui écope d'un rôle vraiment trop léger. La même année, Jackie Chan rencontrait le succès avec Rush hour, qui fonctionnait justement exactement sur la formule buddy movie popularisée par la franchise de Donner. Mais il faudra attendre l'arrivée fracassante de The Matrix (1999) pour que la mutation s'achève et que l'approche du cinéma d'action américain soit totalement repensée sous l'influence des chorégraphes hongkongais.

Pour finir sur ce film, je dirai encore que le côté mal élevé de certaines situations et répliques en font un sympathique spectacle, qui joue bien de son côté obsolète (parce que le « Too old for this shit », ça commence à faire longtemps qu'on l'entend). Mention spéciale au générique de fin qui, sous la forme d'un album de photos de famille, nous invite dans l'envers du décor en rendant hommage à tous ceux qui ont travaillé sur la série depuis le premier film : les acteurs et l'équipe de réalisation apparaissent dans leur propre rôle, assumant complètement la dimension fictive de l'entreprise, cet artisanat de l'illusion qu'est le cinéma — that's entertainment — et l'effet est plutôt chouette. C'est là qu'on se dit que c'est presque un petit miracle que d'être parvenu au sein de cette industrie à conserver le même casting (les gamins qui grandissent), le même réalisateur, les mêmes compositeurs,  etc. pendant dix ans. De cette franchise, qui aura inévitablement droit à son reboot ou sa suite revival, je retiendrai surtout les deux premiers volets, avec une préférence marquée pour le second.




Timeline (Prisonniers du temps), 2003
C'est maintenant que Richard Donner ralentit la cadence. Sorti dans l'indifférence générale, Timeline se présente sans vraies têtes d'affiche (Paul Walker, Gerard Butler, David Thewlis, Lambert Wilson, mouais, on a vu plus vendeur), son principal argument commercial se limitant à être une adaptation de Michael Crichton.

C'est une production laborieuse, pleine de réécritures et qui contraint même Jerry Goldsmith à quitter le navire, rendez-vous manqué avec le réalisateur de The Omen. Le manque de moyens est cruellement visible à l'écran, les enjeux à base de voyage dans le temps sont peu intéressants, avec un montage en parallèle laborieux entre scènes d'action dans le passé et intrigues de laboratoire dans le présent. Donner donne ici l'impression d'être fini, achevant sa carrière dans des sous-productions sans âmes, comme Peter Hyams à la même époque abonné à Jean-Claude Van Damme.




16 blocks, 2006
Après le désastre de ce Timeline, c'est peu de dire que je n'attendais plus rien de Donner, et peut-être qu'au moment de sa sortie l'actu ciné était suffisamment morne pour que je cède à la curiosité. Et j'avais trouvé ça très bon. Un polar solide reposant sur un concept assez enthousiasmant, qui se met en place sans fioritures dès le premier quart d'heure. Remake non assumé de L'Epreuve de force, 16 blocks pourrait à mes yeux s'inscrire officieusement dans la franchise Die hard, bien plus dignement que n'aura su le faire l'ignoble 4e volet. On est donc là dans un des retours aux sources les plus convaincants de la grande époque des Silver productions (Le Dernier Samaritain) avec un pur polar hard boiled.

Les interprètes sont excellents. Bruce Willis en chien battu ce n'est évidemment pas une grande prise de risque mais l'efficacité a été prouvée. Certains face à face entre lui et David Morse (que Donner avait fait débuter dans Inside moves) sont un régal par leur côté très théatral, affrontements psychologiques pleins de tensions, procurées aussi bien par les dialogues suffisamment bien écrits pour venir enrichir sans lourdeur les personnages, que par la mise en scène. Donner a l'intelligence de privilégier sa direction d'acteur sur le spectaculaire, s'attachant finalement davantage aux personnages qu'aux courses poursuites, sans pour autant négliger ces dernières dans lesquelles son savoir-faire n'est plus à prouver. Bref, d'une certaine manière le film est très classique mais un classique intelligent, avec des péripéties ludiques qui maintiennent tout du long l'attention en éveil, jouant à la fois sur les contraintes d'espace et de temps. Le film témoigne ainsi d'une énergie et une vitalité qu'on n'espérait plus de la part du cinéaste, et si sa carrière doit s'achever sur ce titre, cela n'aura rien de déshonorant.



DOSSIER RICHARD DONNER :


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