25 septembre 2017

Histoire permanente du cinéma italien, 1960-1965


El Cochecito (La Petite voiture), Marco Ferreri, 1960
Je triche un peu : le réalisateur est certes italien, mais le film est une production espagnole. C'est en effet en Espagne que Marco Ferreri fait ses véritables débuts derrière la caméra, avec la complicité à l'écriture de Rafael Azcona, scénariste prolifique qui travailla autant avec Ferreri qu'avec Carlos Saura. El Cochecito raconte l'histoire d'un grand-père qui pourrit la vie de sa famille pour se faire payer une petite voiture à moteur destinée aux paralytiques. Les combines et les caprices du vieux monsieur indigne sont souvent très drôles et son interprète est vraiment excellent. Cependant, derrière la farce et ses irrésistibles audaces, le film de Ferreri distille un vrai malaise. Son approche est en effet plutôt réaliste, et le portrait qu'il fait de la société espagnole de cette époque, avec ses éclopés de la vie de toutes générations et de toutes classes, se révèle assez triste. Si le grand-père se montre aussi odieux, c'est aussi parce que sa vie a cessé de le rendre heureux. Autour de lui, l'humanité n'est pas plus reluisante, entre famille mesquine, amis peu solidaires et commerçants profiteurs. Et au fond, la description de cette vieillesse délaissée m'est apparue tout à fait intemporelle.

Ferreri trouvait là une veine grinçante et perturbante qu'il ne cessera ensuite de creuser, n'hésitant pas à pousser les logiques absurdes de nos sociétés contemporaines jusque dans leurs derniers retranchements. Du Lit conjugal (1961) avec Ugo Tognazzi en mâle italien, à l'implacable La Chair (1991), en passant par L'Audience (1971) — film très étonnant qui personnellement m'a assez emballé malgré son rythme un peu lancinant — et bien sûr La Grande bouffe (1973), comédie triste qui cultive le mauvais goût et teste l'endurance du spectateur avec une délectation palpable à défaut d'être communicative (j'adore son casting, mais ce n'est pas forcément un spectacle que j'aurais envie de me réinfliger). Quant à ses Contes de la folie ordinaire (1981), je garde le souvenir de quelques moments très beaux, poétiques et émouvants, avec un Ben Gazzara qui fait forcément plaisir à voir en vieux briscard revenu de tout. Mais Ferreri à trop vouloir vider son film de toute graisse le rendait limite soporifique.






La Ragazza con la valigia (La Fille à la valise), Valerio Zurlini, 1961
J'ai vraiment été sous le charme de cette histoire très simple filmée avec pudeur et tendresse. Je m'attendais bêtement à une comédie populaire dans l'Italie provinciale, alors qu'il s'agit plutôt d'une comédie dramatique. En se concentrant à fond sur le flirt entre l'ado Jacques Perrin (craquant) et la femme Claudia Cardinale (d'une vitalité débordante) malheureuse en amour, le film apparaît d'un minimalisme fort plaisant, avec un goût pour les plans-séquences assez réussi dans ses effets. Des scènes entières sont ainsi filmées sans aucune coupe, renforçant l'impression de proximité avec les personnages.

Je dois avouer cependant que dans sa dernière partie, à partir du moment où justement ce "couple" se sépare un temps, après la rencontre de Claudia et du curé, j'ai un peu décroché. Ça reste brillant — toute la scène avec le cousin en bord de mer est un morceau de cinéma fascinant — mais j'avais cette fois du mal à suivre et à comprendre le personnage de Claudia, torturée par son incapacité à faire le point sur ses désirs. Du coup, pour moi, le meilleur du film se situe dans sa première heure et j'en suis sorti sur une note un peu mitigée, alors que la fin est pourtant très belle. J'ai aussi été un peu agacé par l'usage abusif du thème musical de Mario Nascimbene pourtant très joli mais qui devenait un peu lassant par son systématisme. J'adore par contre toutes ces chansons de variété italienne qu'on entend le reste du temps.




Le Streghe (Les Sorcières), collectif, 1965 
Pas véritablement nouveau, le film à sketch connaît bizarrement une nouvelle mode à cette époque, en Italie comme en France (I mostri, Rogopag, Les Sept péchés capitaux, Le Plus vieux métier du monde, Les Plus belles escroqueries du monde, etc.). Produit par Dino De Laurentiis à la gloire de son épouse d'alors Silvana Mangano, Le Streghe propose en cinq courts-métrages cinq incarnations de femmes très différentes. Comme toujours avec le principe du film à sketch, ça aboutit à un ensemble aussi disparate qu'inégal. Surtout, on ne saisit pas toujours la cohérence et le rapport avec le titre choisi ici. Photographie couleur de Giuseppe Rottuno, musique cosignée Morricone et Piero Piccioni.

La Sorcière brûlée vive est un pensum assez prétentieux et pesant réalisé par Visconti, où la Mangano joue une star qui cherche à échapper à sa célébrité en se refugiant le temps d'une soirée chez des amis à la campagne. Soirée de dupe où elle est l'objet de toutes les jalousies et les désirs. On y croise Annie Girardot en maîtresse de maison, excellente, et Helmut Berger en domestique.

Sens civique de Mauro Bolognini et La Sicilienne de Franco Rossi sont très brefs et empreints d'un humour vache qui aurait d'autant moins dépareillé dans la série des Monstres qu'ils sont écrits par Age et Scarpelli. Dans le premier, qui démarre à Rome, Mangano recueille dans sa voiture un Alberto Sordi victime d'un accident de la route et en profite pour griller les feux en faisant croire qu'elle va l'amener à l'hopital. Elle arrivera ainsi en avance à son rendez-vous galant en bord de mer, abandonnant un Sordi sonné et ensanglanté. Le second est une très marrante satire de certaines mœurs siciliennes liées à la vendetta.

La Terre vue de la Lune est une étonnante farce signée Pasolini, à l'esthétique complétement délirante et colorée qui donne vraiment l'impression de voir de la BD en prise de vue réelle. Habillés et coiffés de façon grotesque, Toto et Nineto Davoli composent un père et un fils clownesques à la recherche d'une femme/mère idéale dans un improbable bidonville. Ils finissent par tomber sur Mangano, étrange femme un peu perdue, sourde et muette qui va magnifier leur misérable existence. Face à elle Toto aura recours à la pantomime et ses différents numéros, avec références explicites à Chaplin, sont souvent irrésistibles. C'est surprenant, d'une liberté assez réjouissante avec de la poésie et de la magie, drôle et même émouvant. La morale est la suivante : « qu'on soit mort ou vivant, c'est du pareil au même. »

J'ai déjà évoqué dans ma rétrospective Clint Eastwood l'excellent Une soirée comme les autres, réalisé par De Sica et qui est certainement avec Pasolini le morceau le plus réussi. Ça permet de sortir du film avec un sentiment de joie que n'avaient pas vraiment permis les sketches précédents. D'ailleurs si cette production se voulait une ode au talent d'actrice de la Mangano, c'est vraiment dans ces deux derniers segments qu'elle le met réellement en valeur.

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