20 janvier 2017

Le Cinéma de George Roy Hill I. 1969-1972

Je ne sais pas si en 2017 on a encore le droit d'employer l'expression "3615 ma vie" mais j'ai une affection particulière pour ce cinéaste américain, dont j'associe la découverte à mes toutes premières fréquentations de la Cinémathèque française. Je voyais alors régulièrement apparaître dans le programme le titre — qui pourrait faire penser à la sequel d'un obscur slasher — et le résumé intriguants d'Abattoir 5. Une fois ma curiosité satisfaite ce fut un choc... Je me souviens encore du générique dans la neige sur fond de Bach, suscitant une fascination qui ne m'a plus lâché jusqu'à la fin.

Au vu des autres films du multi-oscarisé George Roy Hill (à gauche sur la photo), j'ai à chaque fois retrouvé la même singularité, œuvres peu conventionnelles portant un regard tendre sur des personnages qui s'obstinent à vouloir vivre dans un monde à part, fantasmé, jusqu'à ce qu'une réalité tragique les rattrape. Et par dessus ça, un sens du comique grinçant assez perturbant. Bref un cinéaste brillant sans être prétentieux, à la fois solide techniquement mais plein de fantaisie, ce rend ses film si vivants, incontestable expression d'une vraie personnalité, et leur permet d'être revus avec énormément de plaisir...




Butch Cassidy and the Sundance kid (Butch Cassidy et le Kid), 1969
J'en connaissais la BO, j'ai enfin découvert le film. Et j'ai été très surpris. Je m'attendais à une sorte de relecture nostalgique, très ironique, de la légende de l'Ouest, un divertissement léger et folklorique. Or George Roy Hill et son scénariste William Goldman (Les Hommes du président, Princess Bride) proposent plutôt une sorte de post-western, très épuré, avec une intrigue véritablement réduite à son minimum qui s'inscrit parfaitement dans le renouveau que connaît le genre à cette époque. On a du coup l'impression d'être devant un univers qu'on croyait familier mais qui apparaît presque désolé. 

Butch Cassidy et Sundance Kid semblent complétement réduits à subir les événements, ne survivant que difficilement dans un monde en mutation qui ne leur laisse plus grand chose à faire, et qui va tenter de les évacuer du décor. Une bonne partie du métrage est par exemple occupée par une poursuite presque surréaliste, le deux compères ignorant qui est après eux, et échouant à semer leurs poursuivants. Le film adopte ainsi une imprévisibilité dans son rythme et dans son ton. Il y a de l'humour, certes, surtout dans certaines répliques, mais les deux héros ne sont pas pour autant des clowns. Newman et Redford incarnent parfaitement cette sorte de panache qui relèverait presque de l'enfance. On retrouve en fait ces personnages typiques de Hill, souvent déphasés par leur aveuglement volontaire, et finalement très touchants.

Le génie de la mise en scène s'impose dès la splendide séquence d'ouverture en sépia. Hill se permet même quelques expérimentations lors du voyage des personnages pour la Bolivie, en passant par New York, représenté par un long montage de simples photographies. Et les décors traversés sont magnifiquement photographiés par Conrad Hall. Et puis la bande son de Burt Bacharach est plus que jamais un délice à entendre lorsqu'on la voit enfin associée aux images, en particulier son superbe morceau South american getaway, aux chœurs tantôt lyriques tantôt mélancoliques qui accompagne les braquages des banques boliviennes. Bref, j'ai été pas mal interloqué par les directions prises par le film, qui distille un charme étonnamment durable.




Slaughterhouse-five (Abattoir 5), 1972
Grand prix du jury au festival de Cannes cette année-là. Le personnage de Billy Pilgrim est une grande figure tragique, au sens antique, condamné d'une certaine manière à revivre passivement les mêmes événements traumatisants, pleinement conscient de ce savoir sans pouvoir rien y changer. Et Michael Sacks porter brillamment sur ses épaules tout le poids de cette existence, de la candeur juvénile à la maturité sereine. On n'est pas dans Edge of tomorrow, mais plutôt très près du Je t'aime je t'aime de Resnais. La deconstruction sert ici complétement le récit. Il n'y a pas de la part du cinéaste une volonté de confusion du spectateur, mais plutôt une tentative de lui faire suivre Pilgrim à la trace, quasiment en temps réel.

En même temps, en tant que spectateur, on est complètement envoûté par l'originalité de la narration et de l'univers proposé, qui en font vraiment un spectacle à part et marquant. Film de science-fiction, mélodrame, film de guerre, le récit semble tellement fou et libre, tout en dégageant énormément de mélancolie et de désespoir. Les scènes de Dresde sous les ruines font sans doute partie des plus fortes jamais filmées pour dénoncer les horreurs de la guerre, où le sentiment de violence se mêle à des visions absurdes. Le film parvient à rendre justice à la sincérité à l'œuvre dans le roman de Vonnegut, en partie autobiographique puisque l'auteur avait précisément vécu le bombardement de Dresde alors qu'il était prisonnier de guerre, et réfugié dans un abattoir.

J'ai vraiment trouvé cette histoire passionnante, poétique et émouvante. Avec ce qui m'est apparu par la suite comme une constante chez Hill : révéler la part de grotesque de l'existence, mais de façon crédible, sans verser dans la caricature, considérant que la réalité dépasse la fiction. Une vision qui du coup justifiera pleinement qu'il s'attelle (brillamment) par la suite à l'adaptation d'un autre roman réputé intransposable, le Garp de John Irving.


DOSSIER GEORGE ROY HILL :

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