2 décembre 2016

Le Monde animé de Don Bluth I. 1978-1982


The Small one (Le Petit âne de Bethléem), 1978
Né en 1937, Don Bluth se révèle très tôt attiré par l'animation. L'un de ses jobs d'été en tant qu'étudiant consistera ainsi à être intervalliste pour Disney sur La Belle au bois dormant (1959). Mais il devra attendre les années 70 pour rejoindre officiellement les studios de Burbank. Il y sera tout à tour animateur, animateur-clé puis directeur de l'animation sur les films de cette époque (Robin des Bois, Bernard et Bianca, Peter et Elliott le dragon, Les Aventures de Winnie l'ourson). 

Si ces titres possèdent aujourd'hui leurs amateurs nostalgiques, il faut néanmoins reconnaître qu'on est ici dans une période de faible inspiration pour Disney : sujets peu originaux développés par tellement de parties qu'ils en ont perdu toute personnalité, reprise sans risques de formules à succès, technique sans éclat et budgets en baisse. Au point que les productions en prises de vue réelles semblent même prendre le pas sur l'animation (série des CoccinellesLe Trou noir, Le Dragon du lac de feu), comme si le studio s'apprêtait à tirer un trait sur son savoir-faire. En 1978, devenu un artiste affirmé et prometteur, Bluth se voit promu au poste de réalisateur, chargé d'un court-métrage à livrer pour Noël. Il dirige donc et anime avec beaucoup de sensibilité le remarquable The Small one, une histoire pleine de tendresse entre un enfant et l'âne de la Nativité, et qui fera longtemps la fierté du studio.




Banjo the woodpile cat (Banjo le chat malicieux), 1979
Frustré et nostalgique des heures de gloire des premiers longs-métrages de Walt Disney, et ne voyant rien dans les projets du studio qui viendrait infirmer cette impression de déchéance, Bluth s'est préparé dès 1975 à prendre le large,  avec la complicité de deux de ses collègues animateurs, Gary Goldman et John Pomeroy. Ensemble, déterminés à gagner leur indépendance et à exprimer en toute liberté leur vision de ce que doit être l'animation, ils commencent par se faire la main sur un premier court-métrage, réalisé en dehors de leurs heures de travail. Le résultat, Banjo the woodpile cat bénéficiera de la voix de Scatman Crothers. Mignon sans être mièvre, animé avec un dynamisme rafraîchissant, ce premier essai n'a rien d'un travail d'amateurs et fera forte impression auprès des professionnels de la profession.

Ayant brillamment prouvé de quoi ils étaient capables, adoubés par la critique et les investisseurs, les jeunes loups aux dents longues trouvent ainsi les financements nécessaires pour leur projet d'indépendance. Embarquant avec eux une poignée d'animateurs, ils démissionnent de la firme aux grandes oreilles alors en pleine production de Rox et Rouky et fondent leur propre studio. Ils feront dans un premier temps bouillir la marmite en réalisant les séquences animées de la désastreuse comédie musicale Xanadu (1980), avant de pouvoir faire aboutir leur premier coup de maître. Car ce qu'ils visent est bien entendu le débouché le plus prestigieux, à savoir le long-métrage cinéma.




The Secret of N.I.M.H. (Brisby et le secret de NIMH), 1982
Pas de cruelle désillusion à craindre en le (ré)découvrant aujourd'hui : bénéficiant d'une réalisation extrêmement soignée, le film se présente comme un spectacle somptueux, qui intimide même dès son ouverture, posant d'emblée un cadre intriguant fait de magie et de mystère. Généreuse en mouvements, l'animation est riche et maîtrisée, avec une expressivité caractéristique des visages. En effet, même si Don Bluth œuvre dans le registre relativement convenu de l'animalier anthropomorphique, sa "patte" est reconnaissable. Se chargeant lui-même du character design, il crée une galerie de personnages inoubliables tant par leur visuel que par leur animation ou la façon dont ils sont mis en scène : le vieil hibou (doublé par John Carradine), le chat borgne Dragon ou le vieux rat Nicomède et ses mains ridées. Sidekick pas du tout pénible, le corbeau maladroit est doublé par Dom DeLuise, acteur qui restera fidèle au studio (chez nous ce sera Jacques Balutin). Preuve de son ambition, Bluth se paie même le luxe de solliciter Jerry Goldsmith pour la bande originale. Enregistrée avec le London Philarmonic Orchestra, celle-ci est tout simplement grandiose, par son ampleur et sa richesse mélodique, souvent agrémentée de chœurs. Même si tous les films de Bluth feront par la suite une grande place à la musique et aux chansons, cette collaboration avec le grand compositeur demeurera hélas sans suite. 

Bien que destiné aux enfants, le film est loin de la fadeur disneyenne. Ici les personnages saignent et meurent, et le manichéisme n'est pas le seul moteur du scénario. Ainsi le méchant du film, le rat Jenner — superbe à regarder — apparaît tardivement. Les thèmes sont franchement adultes : on débarque dans le récit avec un personnage de veuve, et plein de secrets en attente d'être révélés. De nombreux passages sont assez effrayants, notamment lorsque Brisby explore le repaire des rats, ou lors de l'inoubliable séquence qui montre les expériences de laboratoire, qui ne dépareillerait pas dans un film de Martin Rosen (The Plague dogs). Proposant un audacieux mélange de réalisme et de fantastique, le film baigne dans une atmosphère souvent oppressante. Bluth aime parsemer ses récits de visions terrifiantes, et d'effets lumineux aveuglants. Il donne ici libre cours à son goût pour des décors expressionnistes aux ombres marquées et aux couleurs stylisées qui participent à la dramatisation de chaque scène (les arrière-plans passent souvent au rouge ou à l'orange). On imagine l'impact sur les spectateurs de 1982 (dont je fus).

The Secret of N.I.M.H. apparaît donc comme un film d'animation largement supérieur à ce qui est produit à la même époque, en particulier par la maison-mère Disney, alors en pleine déroute sur la production de Taram et le chaudron magique. Distribué par United artists, le film ne bénéficiera cependant pas du succès escompté, et pâtira de la concurrence d'E.T. the extra-terrestrial, le blockbuster familial qui rafle toute l'attention des spectateurs cette année-là



DOSSIER DON BLUTH :

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