18 mai 2016

Le Cinéma de Steven Spielberg II. 1987-1991

Empire of the sun (Empire du soleil), 1987
Le roman autobiographique de J.G. Ballard est un bon livre, assurément édifiant sur le fond, mais qui semble par trop relever de la littérature de témoignage, assez loin d'être ce que l'auteur de Crash ! a pu écrire de plus intéressant. L'adaptation qu'en signera Spielberg est par contre pour moi un vrai film-fétiche, suscitant dès la vision de son affiche une fascination qui ne m'aura jamais quitté. L'ayant découvert alors que j'avais pratiquement l'âge du jeune protagoniste, l'identification a évidemment fonctionné comme rarement, et j'ai été emporté par la flamboyance du spectacle. Indécrottable optimiste, le réalisateur trouvait ici un matériau idéal pour aborder la représentation du drame de la guerre, tout en se préservant le plus possible de ses horreurs en adoptant le point de vue d'un enfant. Toute la passionnante dialectique du film consiste en effet à confronter le regard du jeune Jim à la réalité tragique de ce que vivent les prisonniers (la faim, la maladie, les répressions). Et le parcours du héros sera d'autant plus impressionnant que sa personnalité est loin d'être sans défauts, gamin égoïste formaté par une éducation bourgeoise et colonialiste. Toujours sincère et profondément humaniste, Spielberg a à cœur de traiter les personnages japonais avec dignité, sans manichéisme  et on sera notamment marqué par la prestance du Sergent Nakata, qui n'a pourtant pas une seule ligne de dialogue. D'ailleurs, ce sont bien les mots qui manquent pour qualifier l'abattage prodigieux du tout jeune Christian Bale. L'enfant est de tous les plans et même s'il est entouré par des acteurs adultes solides (Malkovich, Richardson, Stiller, Pantoliano, et même Burt Kwouk), il porte le film sur ses épaules. Sa transformation physique au cours du film est bouleversante.

Pour cette fresque ambitieuse digne d'un David Lean — le réalisateur du Pont de la rivière Kwaï était précisément le premier réalisateur attaché au projet — Spielberg fait preuve d'une maîtrise de l'environnement et de l'espace proprement sidérante. Les plans mettant en scène un grand nombre de figurants sont toujours lisibles, le regard du spectateur étant intelligemment guidé là où il faut. Pas du tout paralysé par le poids d'une reconstitution grandiose, le cinéaste compose des images d'un lyrisme inouï, profitant avec intelligence du fait que tout le récit est narré du point de vue de l'enfant, avec tout ce que cela comporte de fantasme et de déviation de la réalité. Je me retiens de les citer afin d'en laisser la surprise à ceux qui n'auraient pas vu le film, mais c'est un vrai festival, pour lequel le chef opérateur Allen Daviau s'est une nouvelle fois dépassé. Je me doutais que des maquettes avaient été utilisées pour certains décors, mais restais persuadé que les avions en vol étaient des vrais. Il s'agit en fait de modèles (un peu) réduits. D'une certaine manière ça me rassure un peu, tant je m'inquiétais de la santé mentale d'un réalisateur capable de concevoir une séquence telle que celle du camp bombardé, où le trajet des avions dans le champ, systématiquement inscrit dans la dynamique générale de l'action, est d'une virtuosité folle.

La plus belle scène du film, celle que j'ai toujours considérée comme un point de basculement, est sans doute celle où Jim arrive dans le camp et s'avance vers le Zéro japonais sous les étincelles des chalumeaux, puis salue les pilotes. Le thème de John Williams — certainement l'un de ses plus beaux — me colle alors des frissons et on a ensuite droit à une ellipse d'une brutalité telle qu'elle me laisse à chaque fois par terre. Après E.T., et avant Schindler's list et A.I., cet Empire of the sun est l'autre film de Spielberg dont je finis le visionnage le visage inondé de chaudes larmes.




Always, 1989
Un titre peut-être trop vite oublié dans la filmographie du cinéaste, et c'est bien dommage. Coincé entre deux superproductions, Always est une comédie romantique qui aurait pu être insignifiante si elle n'était emballée avec tout le métier d'un réalisateur pleinement maître de ses moyens. Le film a beau jouer sur l'intime et le sensible, il part néanmoins d'un postulat fantastique (le même qui assurera le triomphe de Ghost l'année suivante), et le fait qu'il se déroule dans le milieu des pilotes de canadair donne l'occasion au réalisateur d'avoir son quota de séquences spectaculaire, impeccablement fabriquées et judicieusement dosées au fil du récit pour en renforcer l'impact dramatique.

Le film a beau être un remake, il est loin d'être impersonnel, et on sent la volonté de Spielberg, ici encore grand directeur d'acteurs, d'accompagner ses personnages avec sensibilité et une absence de cynisme franchement agréable. Ce n'est pas seulement parce qu'il y est question d'incendies de forêt, mais c'est bien le qualificatif de chaleureux qui s'impose au sujet de ce film. 
Spielberg retrouve son vieux complice Richard Dreyfuss, et le couple qu'il forme avec Holly Hunter est particulièrement touchant, leurs scènes étant vraiment bien écrites. Les passages de comédies sont tout aussi réussis, grâce à des dialogues très pétillants. Always est donc une vraie belle histoire d'amour, d'amitié et de dévouement, à la mise en scène époustouflante, distillant un esprit frais, drôle et émouvant, avec une patine très classique, très âge d'or hollywoodien. J'encourage vraiment à sa (re)découverte.




Indiana Jones and the last crusade (Indiana Jones et la dernière croisade), 1989
Par son mélange de comédie et d'action sur fond de quête ésotérique, cette Dernière croisade signe le retour payant à la formule qui fit le succès du premier volet sans les bizarreries perturbantes du deuxième. En effet, bien équilibré dans son écriture, le film bénéficie d'un scénario solide en forme de chasse aux indices ponctuées d'embûches, et a surtout le mérite de proposer en plus des développements aussi intéressants que pertinents du personnage-éponyme, amenés sans lourdeur au cours de l'enquête.

La production propose un spectacle très riche, avec des poursuites multipliant les véhicules (train, hors-bord, side-car, dirigeable, avion, tank, cheval). On voyage entre décors réels exotiques et studio de carton-pâte, les répliques et gags sont aussi nombreux qu'irrésistibles, et la relation père-fils ajoute une profondeur bienvenue aux aventures de l'archéologue au fouet, renforçant également l'implication du héros face aux enjeux. Le couple Harrison Ford / Sean Connery se révèle absolument parfait, et même si les scènes d'action semblent parfois plagier celles du premier volet, cela reste un spectacle familial rondement mené qui personnellement m'apporte toujours autant de plaisir.




Hook, 1991
Si je porte à son crédit quelques images marquantes (les fissures dans les murs) et une B.O. particulièrement aérienne de John Williams, ce gros film est malheureusement plombé par trop d'éléments pour être défendu. Le sujet d'un Peter Pan parvenu à l'âge adulte et ayant renié ses idéaux était pourtant très bon, et Spielberg était à sa place pour le traiter. Mais le résultat à l'écran se révèle bien vite trop peu convaincant. En voulant s'adresser à l'enfant qui serait resté dans le cœur du spectateur adulte, le film donne l'impression de ne plus savoir sur quel pied danser, se montrant tantôt trop enfantin (dans le mauvais sens du terme), tantôt trop prétentieux, au point où ça en deviendrait presque pénible.

Dustin Hoffman trouve avec le Capitaine Crochet un instrument parfait pour cabotiner, mais au lieu d'amuser il est vite agaçant malgré les efforts de son sbire Bob Hoskins pour le mettre en valeur. Par sa capacité à incarner la candeur dans ses yeux d'adulte, Robin Williams était sans doute le choix rêvé, mais là encore son personnage n'attire aucune sympathie. Avant l'avènement du fond vert, Hook s'offrait encore le luxe d'un tournage en dur. Mais si les décors se veulent grandioses, ils apparaissent surtout figés et bien loin de susciter l'émerveillement et le dépaysement escomptés. On déplorera encore des gamins insupportables (genre sous-Goonies), un ton qui n'échappe pour une fois pas à la mièvrerie, ainsi qu'une Julia Roberts en fée clochette. Un mauvais rêve, franchement indigeste, un rendez-vous manqué.



DOSSIER STEVEN SPIELBERG :

Aucun commentaire: